L'extension des indications d'implantation cochléaire aux surdités profondes unilatérales associées à un acouphène invalidant, validée par la Haute autorité de santé en 2020, a été entérinée par la parution d'un arrêté au Journal officiel, le 6 septembre 2021. L’orthophoniste doit s’adapter aux attentes et aux besoins de ces nouveaux patients.

Stéphanie Borel est orthophoniste au sein de l’Unité Implants Auditifs de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et Maître de conférences au Département d’orthophonie de Sorbonne Université. Elle fait également partie de l’équipe ayant élaboré les programmes de rééducation à la communication téléphonique TCT-6 et TCT-9. Dans cette interview, elle présente les spécificités de la rééducation post-implantation en cas de surdité unilatérale ou très asymétrique.

 

Quels sont les principaux axes de rééducation post-implantation en cas de surdité unilatérale ou très asymétrique ?

Pour les patients implantés ayant une surdité unilatérale, ou très asymétrique, la rééducation orthophonique est fondamentale afin d’assurer le développement de la compréhension de la parole du côté de l’oreille implantée. Elle permet ainsi de limiter le risque d’abandon de l’implant, qui est un petit peu plus élevé dans ce cas bien particulier. Les principaux axes de rééducation sont :

- Le développement de la compréhension de la parole du côté implanté : en séance et en auto-entraînement au domicile ;

- L’écoute au niveau des deux oreilles : dans un environnement bruyant, dans les discussions à plusieurs, etc. ;

- Le contrôle cognitif et la compréhension dans le bruit et/ou avec des acouphènes : l’attention, la flexibilité et l’inhibition de la personne implantée ;

- La perception de la parole dans des situations complexes en s’aidant de la lecture labiale.

 

À quelles difficultés fait-on généralement face lors d’une rééducation après une implantation cochléaire, lorsqu’il y a surdité unilatérale ou très asymétrique ?

Les attentes des patients vis-à-vis de l’implant sont parfois très élevées. En effet, même avant l’implantation, il arrive qu’ils comprennent bien la parole en environnement calme, ou même au téléphone, et ne soient gênés que dans les situations bruyantes ou de groupe. A l’inverse, d’autres patients peuvent n’avoir aucune autre attente que celle de réduire leur acouphène et n’intègrent donc pas immédiatement l’importance de suivre une rééducation. Ils doivent prendre conscience de l’investissement et de la régularité attendus lors des séances d’orthophonie. C’est pourquoi il est fondamental d’informer précisément les patients lors du bilan pré-implant. L’autre difficulté de la rééducation post-implant, c’est de ne stimuler que l’implant. Un vrai challenge pour l’orthophoniste !

 

Comment vous assurez-vous de bien travailler l’oreille implantée, malgré l’autre oreille ?

C’est toute la difficulté. Lors d’une rééducation habituelle, on éteint l’appareil auditif controlatéral et on place un bouchon en mousse ou en cire dans l’oreille afin d’être sûr qu’on ne travaille que l’implant lors des exercices. Mais dans le cas précis des surdités très asymétriques ou unilatérales, cette façon de boucher l’oreille ne suffit pas et l’on risque de travailler dans le vide si c’est la « bonne oreille » qui continue à percevoir la parole et répondre aux exercices. Il faut donc trouver un moyen d’assourdir encore davantage l’oreille controlatérale, soit en mettant un casque anti-bruit par-dessus le bouchon, soit en ajoutant un bruit masquant, ou encore en utilisant un système d’aide à l’écoute ou un système de connexion directe sans fil.

 

Quels accessoires peuvent être utilisés dans le cadre de la rééducation ?

Le recours à l’accessoire d’aide à l’écoute est de loin le plus efficace, car le son n’est alors plus diffusé dans la pièce mais transmis directement dans le processeur. Le revers de la médaille est que cela oblige l’orthophoniste à travailler avec des supports préalablement enregistrés, ce qui est moins souple à manipuler que la voix naturelle. De plus, l’orthophoniste n’entend pas ce qu’il diffuse, à moins de connecter des écouteurs à son ordinateur pour lui-même entendre ce qu’il fait écouter au patient. Cela demande donc une petite « gymnastique » mais ce n’est pas si compliqué lorsque l’on s’y met. Des notices et tutoriels en ligne permettent d’en comprendre l’utilisation.

Utiliser un accessoire d’aide à l’écoute ou avoir la possibilité de se connecter directement à un téléphone ou une tablette est possible pour les systèmes d’implant. Cela permet de mieux téléphoner, écouter la télévision ou comprendre en réunion. Habituellement ces systèmes sont proposés plusieurs semaines après la mise en route du processeur. Dans le cas des patients avec surdité asymétrique/unilatérale, l’équipe hospitalière fait en sorte d’accélérer le processus car cet accessoire a vraiment toute son importance, dès le début de la rééducation.

 

Quels exercices peuvent être réalisés en présentiel, avec un orthophoniste, pour rééduquer une oreille implantée en cas de surdité unilatérale ou très asymétrique ?

Les mêmes que pour toute personne implantée. Ce ne sont pas les exercices qui changent, mais la condition d’écoute dans laquelle ils sont présentés. Les premiers exercices sont proposés dans le silence, puis progressivement en environnement bruyant et en situation d’interlocuteurs multiples. Dès que la compréhension de l’implant est bien amorcée, on peut commencer à proposer quelques exercices avec les deux oreilles, en environnement bruyant. Et là, plus besoin d’accessoires ! On revient à une modalité classique de rééducation, en prenant soin de mettre l’enceinte qui diffuse le bruit du côté de l’oreille entendante et la phrase à comprendre du côté de l’implant, pour continuer à bien le stimuler. On peut aussi entraîner la communication téléphonique côté implant avec le TCT-9 !

Enfin, le travail de localisation des sons a beaucoup d’intérêt pour la vie quotidienne notamment pour repérer d’où vient un véhicule ou un signal d’alerte. De plus, bien localiser les sons permet de mieux comprendre dans le bruit et en groupe. Cet entraînement à a localisation requiert au moins deux haut-parleurs (figure 1 et figure 2).  

© Photographies issues de l’ouvrage : Belouard, Y. (2017). L’orthophonie pour soutenir le patient dans son appareillage: adaptation, localisation et compréhension dans le bruit. Audiology Direct, (1), 6.

 

Stratégie de placement spontanément mise en place

 

 

Répétitions de phrases, questions/réponses, conversation… avec et sans le processeur

 

Comme vous le disiez, un auto-entrainement à domicile est également nécessaire. En quoi cela consiste-t-il ?

De façon générale, l’auto-entraînement est complémentaire des séances de rééducation, bien qu’il reste à l’appréciation de chaque patient et orthophoniste. Dans le cas de la surdité unilatérale, il est vraiment pertinent, car entre deux séances, dans la communication quotidienne, l’implant est un peu masqué par l’audition controlatérale et risque d’être peu stimulé. Le choix des sites internet et des exercices sont en général discutés avec l’orthophoniste. En effet, il n’est pas toujours évident pour le patient de se rendre compte de la gradation de la difficulté d’un exercice à l’autre et il risque de se démotiver, s’il se met trop en difficulté en passant des étapes trop rapidement. Il existe de nombreux sites, dont certains créés par des orthophonistes, comme :

- https://www.implant-ific.org/exercices

- https://fr.cisoundsuccess.com/

On peut également recourir à des exercices développés pour l’apprentissage du français langue étrangère comme sur le site suivant : https://francaisfacile.rfi.fr/.

Ils ont l’avantage d’être proposés à des débits et niveaux de lexique accessibles, tout en étant actualisés régulièrement avec les dernières nouvelles du monde.

 

Quels exercices sont préconisés en cas d’acouphènes ?

Des exercices d’audition ou de lecture labiale impliquant l’attention et la mémoire, car celles-ci ont parfois été perturbées par des années d’acouphènes. Plus généralement, tout exercice qui encourage le patient à se focaliser sur des sons pertinents, plutôt que sur l’acouphène.

 

 

Avez-vous des conseils à donner aux patients concernés par une rééducation post-implant avec une surdité unilatérale ou très asymétrique ?

Mon principal conseil est de saisir l’opportunité d’être implanté et de donner toutes les chances à son implant en portant le plus possible son processeur et en s’impliquant dans sa rééducation orthophonique. La binauralité ouvre des perspectives importantes en termes de confort d’écoute et de localisation des sons. Enfin, l’orthophonie peut aussi travailler l’attention et la mémoire auditive, souvent malmenées par des années d’acouphènes.

 

 

Pour aller plus loin :

- Article «Surdité asymétrique et unilatérale, et acouphènes invalidants, une nouvelle indication d’implantation cochléaire » : https://www.cisic.fr/implant/actualite-implant-cochleaire/736-surdite-asymetrique-et-unilaterale-et-acouphenes-invalidants-une-nouvelle-indication-d-implantation-cochleaire

- Article « Un outil pour téléphoner : le TCT-9 » : https://www.cisic.fr/publications/un-outil-pour-telephoner-le-tct-6

- Vidéo "Témoignage : la rééducation à la communication téléphonique avec le TCT-9" : https://www.youtube.com/watch?v=NiYsSzjYcjM

 

 

 

Article publié en Août 2023